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Le 8 juillet 2023, Edgars Rinkevics a pris ses fonctions de dixième président de la République de Lettonie, après avoir été élu par la Saeima, le Parlement. Âgé de 49 ans, ce diplomate chevronné, membre du parti centriste Nouvelle Unité, a traversé avec constance divers changements de coalition en conservant le portefeuille des Affaires étrangères qu’il occupait depuis octobre 2011. Avant cela, il avait été en poste au ministère de la Défense, puis directeur de la chancellerie du président de la République sous le mandat de Valdis Zalters (2008-2011).
Autant dire que le nouveau chef de l’État est une figure parfaitement insérée dans le paysage politique letton, mais également à l’étranger, où il incarne son pays avec un flegme souriant depuis près de douze ans.
Il arrive au pouvoir dans un contexte international et régional extrêmement tendu du fait de la guerre en Ukraine – un contexte qui a des effets majeurs à l’intérieur de son pays, frontalier de la Russie et de la Biélorussie, et dont un quart environ des 2 millions d’habitants sont des russophones…
Une élection sur le fil
Dans la discrète Lettonie, la campagne électorale n’a pas été de tout repos. Le président sortant, Egils Levits, s’était dans un premier temps porté candidat à sa propre succession, avant de jeter l’éponge. Levits était soutenu par le parti national-conservateur « Alliance nationale », formation qui participait à la coalition au pouvoir, en compagnie de Nouvelle Unité et de Liste unie (une union de partis centristes). Lorsque Liste unie a décidé de présenter son propre candidat, un homme d’affaires peu expérimenté en politique, Uldis Pilens, Levits a préféré se retirer de la course.
Le lendemain, le Parti progressiste (social-démocrate, situé dans l’opposition) annonçait que sa candidate serait Elina Pinto, experte en gouvernance publique et activiste de la diaspora. Et quelques heures après, Nouvelle Unité, parti du premier ministre Krisjanis Karins, en poste depuis 2019, désignait Edgars Rinkevics comme candidat.
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Si son bilan positif en matière de politique étrangère semblait parler en sa faveur, il n’a d’abord pas pu compter sur le soutien de l’Alliance nationale, qui a jugé que le président et le premier ministre ne devaient pas être issus du même parti, ni sur celui des Progressistes donc, alors que ces derniers partagent sur bien des points les orientations sociales-libérales de Nouvelle Unité.
Lors du premier tour de scrutin, le ministre des Affaires étrangères a recueilli 42 voix, contre 25 pour Pilens et 10 pour Pinto. Le deuxième tour a donné exactement les mêmes résultats, avant que, conformément à la Constitution, Pinto ne se retire. Enfin, le 31 mai, Rinkevics a été élu à l’issue du troisième tour de scrutin, emportant sur le fil, et grâce au ralliement des Progressistes, 52 des 100 voix du Parlement, Pilens en récoltant 25.
Constitutionnellement, les prérogatives du président sont restreintes en Lettonie. Le chef de l’État peut toutefois opposer son veto à des lois et convoquer des référendums, privilèges dont avait usé en son temps Vaira Vike-Freiberga, présidente de 1999 à 2007, qui avait parfaitement su trouver sa place dans le système letton, donnant de la substance à sa fonction par son autorité morale, notamment en incarnant son pays sur la scène européenne et internationale au moment de la double adhésion à l’UE et à l’OTAN. Elle expliquait alors que le rôle réduit du chef de l’État letton lui offre une large liberté pour se positionner au-dessus des débats politiciens et s’affranchir de certaines contingences.
Un programme à forte teneur sociale
Le choix du Parlement, même chaotique, signe finalement une volonté de continuité et de stabilité. Les priorités d’Edgars Rinkevics étaient globalement connues et son expérience en matière de politique étrangère vaut en quelque sorte assurance de cohérence. En ces temps particulièrement inquiétants pour le pays, l’heure n’est ni à l’aventurisme ni à l’expérimentation.
Les priorités de son prédécesseur, Egils Levits, avaient été l’identité (et notamment la promotion de la langue lettone) mais aussi, dès le 24 février 2022, le soutien résolu à l’Ukraine ; le président sortant a par exemple milité pour la création d’un Tribunal pénal international pour juger des crimes perpétrés par la Russie. Il laisse toutefois l’image d’un chef de l’État relativement éloigné des préoccupations de ses administrés, ce qu’a révélé en particulier son attitude assez passive pendant la pandémie de Covid-19.
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Lors de son discours d’investiture devant la Saeima, Rinkevics, sans surprise, a annoncé la poursuite de la politique étrangère qu’il avait mise en œuvre depuis tant d’années, insistant évidemment sur l’importance d’un soutien indéfectible à l’Ukraine. Il a par ailleurs souligné la fracture sociale qui perdure dans le pays, les écarts ne cessant de se creuser entre populations et entre régions, et affirmé que le déclin démographique de la Lettonie, problème majeur du pays, ne sera pas résolu à coups de prestations sociales, insuffisantes pour promouvoir la natalité, mais en investissant significativement dans l’éducation, la santé et le logement, conditions nécessaires pour endiguer une émigration inquiétante, surtout parmi les jeunes.
Le nouvel élu a également mis l’accent sur la lutte contre la corruption et la criminalité, ainsi que sur la consolidation d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant – des sujets qui traversent depuis plus de trente ans la société lettone. Il n’a pas été disert sur la question des populations russophones de Lettonie, même s’il est clair que, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, celles-ci sont, encore plus qu’auparavant, implicitement mises en demeure de devoir assurer leur loyauté à l’État letton. Loyauté qui passe notamment par une condamnation ferme et sans appel des actions de la Russie. Mais le nouveau Président, ferme dans ses principes, est aussi un homme de consensus qui ne souhaite pas attiser artificiellement des tensions dont la Lettonie saura très bien se passer.
L’Ukraine, une priorité évidente
Depuis 2014 et, plus encore, depuis février 2022, l’engagement de Riga vis-à-vis de l’Ukraine ne s’est jamais démenti. Si l’aide fournie pèse certes peu en valeur absolue, la Lettonie se positionne, et c’est notable, en deuxième position des pays engagés en part de PIB (1,1 % au 31 mai 2023), juste derrière l’Estonie et devant la Lituanie et la Pologne. Pour Edgars Rinkevics, les régimes russe et biélorusse menacent la région baltique, l’Europe et le monde. En la matière, le président entend persévérer dans son soutien à Kiev jusqu’à la victoire complète de l’Ukraine.
Cet engagement passe par un appui actif aux candidatures de Kiev à l’UE et à l’OTAN, le chef de l’État insistant sur les signaux nécessaires à envoyer tant à l’Ukraine (qui ne doit pas se décourager) qu’à la Russie (qui doit comprendre que les alliés de l’Ukraine ne l’abandonneront pas).
En visite de travail en Pologne le 16 août, Rinkevics a rencontré son homologue Andrzej Duda avec lequel il a échangé sur les questions de sécurité régionale, de soutien à l’Ukraine, de renforcement de la coopération bilatérale économique et en matière de défense, ainsi que sur la façon de mettre en œuvre les décisions adoptées lors du sommet de l’OTAN à Vilnius.
Peu avant, il s’était rendu dans la région de Latgale, à la frontière avec la Biélorussie, afin d’y évaluer les risques induits par les orientations de ce pays désormais vassalisé par le Kremlin : qu’il s’agisse du risque migratoire, de la présence des mercenaires de Wagner, du déplacement d’équipements nucléaires russes sur le territoire biélorusse ou du fonctionnement de la centrale nucléaire d’Astravets, les menaces émanant de ce pays sont perçues comme sérieuses par le président, qui dit par ailleurs vouloir veiller à la réduction des inégalités internes à son pays, celles-ci affectant particulièrement cette région orientale de Lettonie.
Faire avancer la société
Edgars Rinkevics souhaite voir se concrétiser deux projets qui font débat dans le pays depuis quelques années : d’une part, la ratification de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011, jusqu’ici bloquée en Lettonie par les conservateurs qui, curieusement, semblent sur ce sujet assez perméables au discours véhiculé par la Russie, selon lequel les textes internationaux de ce type mettent à mal la famille traditionnelle ; d’autre part, l’ouverture de l’union civile à tous les couples, sujet sur lequel le nouveau président s’était déjà clairement prononcé avant de prendre ses nouvelles fonctions. En 2022, la Cour constitutionnelle a reconnu les unions entre personnes de même sexe, mais le Parlement n’a rien fait pour appliquer cette décision, notamment en matière de protection juridique.
Or, quand Edgars Rinkevics s’exprime sur cette question, sa parole est particulièrement guettée. En effet, le 6 novembre 2014, il avait provoqué un tremblement de terre en postant laconiquement en anglais sur Twitter : « J’annonce fièrement que je suis gay… Bonne chance à tous… »
Quelques heures auparavant, dans un autre tweet, accompagné du hashtag #Proudtobegay, il avait annoncé que la Lettonie, où les couples homosexuels ne bénéficiaient jusqu’alors d’aucune reconnaissance légale (la Constitution a même été modifiée en 2005 pour leur interdire de se marier), allait créer un cadre juridique leur accordant des droits ; il avait alors annoncé qu’il se battrait en ce sens, même si cela devait provoquer une « méga-hystérie ».
Le lendemain, dans un nouveau tweet, il remerciait les internautes pour leur compréhension et leur soutien : « La vie continue. » Dans un pays réputé conservateur, son coming out n’a eu aucune incidence sur sa carrière, et il est notable que son homosexualité est mise en avant essentiellement à l’étranger, alors qu’elle est rarement mentionnée en Lettonie, où elle est jugée peu pertinente pour évaluer sa légitimité à occuper de hautes fonctions. Il n’en reste pas moins que Rinkevics est désormais le premier chef d’État ouvertement gay de l’histoire de la Lettonie, et même de l’histoire de tous les pays de l’Union européenne.
Une scène politique interne chahutée
Les premières semaines du nouveau président sont quelque peu troublées par la chute du gouvernement, à la suite de la démission, le 14 août, du premier ministre Krisjanis Karins, qui a tiré les conclusions des désaccords persistant au sein de la coalition : pour favoriser le consensus, le chef du gouvernement a tenté de revoir les équilibres au sein de la coalition (composée, rappelons-le, de Nouvelle Unité, de l’Alliance nationale et de Liste unie), voire de l’élargir – propositions auxquelles se sont opposés ses deux partenaires.
Le 24 août, après avoir consulté les cinq formations présentes au Parlement, Rinkevics a nommé première ministre Evika Silina, de Nouvelle Unité (jusque-là ministre de la Protection sociale). Elle est chargée de former rapidement un nouveau gouvernement de large coalition et d’obtenir le soutien du Parlement d’ici mi-septembre.
La démarche du président semble claire : pour avancer et mettre en œuvre une politique active, il est indispensable de rassembler et de chercher le consensus. Rinkevics n’est pas naïf, pourtant : il est peu probable que Silina parvienne à regrouper cinq formations loin d’être compatibles du fait des positions de principe d’Alliance nationale et des Progressistes. Le pari semble donc osé : il ne s’agit pas d’enfermer les cinq partis jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord, a-t-il affirmé, mais il serait bon pour le pays que chacun laisse de côté ses émotions et commence des négociations.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.