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Corps à corps à l’Eurovision

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Le Concours Eurovision de la Chanson (Eurovision Song Contest) revient ! Finie la post-Eurovision depression (PED, pour les intimes), qui affecte les fans les plus assidus au lendemain de la finale du concours. La déprime aura duré près de vingt-quatre mois. Cette année, en effet, l’Union européenne de Radio-Télévision a anticipé les dernières restrictions sanitaires à travers plusieurs scénarios d’organisation (notamment en enregistrant au préalable chacune des prestations concurrentes, les live-on-tape) afin de maintenir l’événement à Rotterdam.

Piqûre de rappel

L’ESC est l’un des plus anciens produits culturels d’ambition internationale de l’ère des radio-télécommunications. Il a été lancé en 1956 par une poignée de pays désireux de jouer du soft power pour redonner aux populations meurtries par les guerres la curiosité de l’autre et retrouver du même coup le goût du respect des traditions – même folkloriques – de chaque zone, pays ou région euro-occidentaux. Le concours a survécu aux différentes révolutions techniques et politiques de l’espace européen, entendu dans une acception à la fois large et fluctuante.

Événement à la fois musical et linguistique dans les attentes qu’il suscite, radiophonique et télévisuel – et largement amplifié par le moyen du web – dans sa médiatisation et sa réception, politique et pop-culturel dans sa singularisation, l’ESC est également de plus en plus théâtralisé. En tant que « spectacle vivant », il est désormais un moment attendu par des milliers de fans qui se font l’écho de centaines de millions de radio et téléspectateurs et qui, par leur présence en chair et en os pendant que d’autres suivent les performances à distance, ancrent l’onde d’activités sur les réseaux sociaux dans une réalité indispensable.

De fait, le concours était autrefois traversé par la puissance du folklore, et pour cela fut considéré comme ringard après quelques décennies. Mais ces mêmes archaïsmes esthétiques ont été assumés et ont procuré une nouvelle force au programme, porté aujourd’hui tout autant par le goût assumé du kitsch que les excès de camp style. Désormais, cet espace de choix, qui profite d’un nouveau souffle boosté par un marketing calibré depuis une quinzaine d’années, constitue un écrin incomparable pour l’expression des diversités (sociales, de genre, communautaires…).

La voix du corps

Que ces jeux eurolympiques de la chanson suscitent, en fonction des pays ou des années, la moquerie ou l’encensement importe peu à ceux qui s’y intéressent de près. Pour comprendre le phénomène, les apports des cultural studies et des études statistiques ou linguistiques restent, au même titre que les approches théâtrales ou musicales, fort utiles. Mais on peut aussi se focaliser simplement sur la place conférée à un élément pendant le concours pour y voir plus clair : le corps. Le sujet, parcouru par les gender studies, permet d’une part de sonder le pouvoir d’identification que comporte un tel produit médiatique à dimension globale, et d’autre part de percevoir les enjeux politiques qui se scellent derrière certains choix techniques, artistiques ou performatifs.

En l’occurrence, le corps a été l’un des grands perdants de la période pandémique, confiné comme il est/fut dans son petit pré carré d’intimité, c’est-à-dire aux antipodes de l’écho planétaire du programme ESC. Dans ce qu’il dit d’une identité, le corps se révèle comme l’un des objets principaux du concours Eurovision, au même titre que la voix des artistes. Fièrement costumé, savamment dénudé, canonisé ou justement altéré jusqu’à la monstruosité, le corps se présente comme un support d’engagement politique de première importance et se voit chargé d’incarner des thèmes brûlants : droits de chacun, acceptation de soi, lutte pour l’égalité entre les sexes, les races, les âges…

« Mix & Switch »

Au cours de l’ESC 2019 (la dernière version « régulière », qui se tint à Tel-Aviv), une nouvelle séquence s’est définitivement installée dans le spectacle final : le « Mix & Switch », ou « Switch Song ».

Ce moment doit être considéré comme fondateur dans la construction du mythe in progress du concours, au même titre que les cartes postales de présentation des pays ou que les présélections nationales, justement parce qu’il mélange sujets politiques et monstration des différences, à travers la variété des corps et des styles, tout en étant détaché de la compétition qui a lieu.

Placé au moment de l’Interval act, c’est-à-dire après l’ensemble des prestations chantées des concurrents de la finale, et juste avant le lancement de la longue et mythique session de vote, le « Switch Song » a vu cinq artistes interpréter des chansons désormais considérées comme des tubes dans le domaine ESC – ce qui au passage a enfoncé le clou d’un répertoire propre à l’Eurovision : l’autrichienne Conchita Wurst, qui triompha au concours à Copenhague en 2014 ; le suédois Måns Zelmerlöw, vainqueur l’année suivante à Vienne avec Heroes ; Eleni Foureira, favorite des bookmakers pour l’édition 2017 (finalement remportée par la représentante israélienne, Netta), lors de laquelle elle représenta Chypre avec Fuego ; Verka Serduchka, autre incontournable de la galaxie eurovision, interprète de Dancing Lasha Tumbai qu’il présenta pour l’Ukraine en 2007 ; et Gali Atari, qui avait remporté le concours en 1979 avec Hallelujah.

Le choix des cinq artistes répondait à une double nécessité : représenter un panel des pays concourant à l’Eurovision (du nord au sud, d’est en ouest) ; promouvoir l’ouverture à la différence et au respect, thèmes dont les artistes qui font délégation se font les chantres.

Par ailleurs, le Switch Song de 2019 a instauré un système d’échange qui voyait un chanteur réinterpréter stylistiquement le tube de son acolyte, comme un hommage autocentré où le travestissement musical faisait écho à la transgression corporelle devenue norme. Ce système du mélange mettait en branle un subtil jeu de liens nouveaux, un tuilage des formes et des combats, qui renforce l’ESC dans son rôle d’espace apolitique-politisé. Nul doute que le principe du Switch Song, désormais considéré comme le dessert de la grand-messe, réservera en 2021 son lot de surprises où le corps sera encore davantage au centre de toutes les attentions.

La question du corps a été déterminante dans le choix des interprètes. Par exemple, C. Wurst et V. Serduchka sont deux personnages symboliques : la première est incarnée par le chanteur et drag queen Thomas Neuwirth, la seconde est un travesti qui prend les traits d’une femme forte vêtue de lumière et d’acier. Dans le Switch Song de 2019, Conchita était justement recouverte d’un tulle transparent, offrant ainsi sa masculinité féminisée au public qui l’avait découverte en madone barbue dans « Rise Like a Phoenix », tandis que Verka conservait l’accoutrement cosmique et les formes généreuses qui font sa renommée.

Ces caractéristiques étaient contrebalancées par les variations corporelles bien plus conformistes des trois autres artistes participant au Switch Song. Zelmerlöw est un parfait bellâtre venu du nord, qui fait la une des magazines et envahit les médias nordiques depuis des années. La Gréco-Albanaise Foureira exposait une peau et une chorégraphie parfaitement huilées, alternant mouvements endiablés et déhanchés propres à réunifier un pays. Le tout exécuté dans un costume réduit au minimum, fait de trois étoiles érotiquement et stratégiquement placées.

La séquence Switch Song, en 2019.
Capture d’écran

Enfin, Gali Atari (née en 1953) donna au public un bel exemple de longévité à toute une génération de fans et participants de l’Eurovision : au milieu des quatre artistes précédemment cités, elle semblait la plus jeune du lot : miracle de l’esthétique en terre promise !

Le corps fut donc célébré dans tous ses retranchements, d’autant que les rondeurs revendiquées de Netta (gagnante du concours en 2018), puis l’intemporalité ostentatoire de l’indétrônable icône de la pop music Madonna, complétèrent le tableau de ce (trop) long entracte.

L’Eurovision est définitivement passée de la période post-Abba – qui a traîné jusqu’à la fin du siècle dernier – à l’ère de la corpo-choralité.

Voilà 2021

De l’hymne aux corps de Tel-Aviv, il se pourrait bien qu’on saute à pieds joints dans le corps des hymnes de Rotterdam. Le slogan (un autre aspect marketing hautement significatif du concours) de cette édition est « open up » : un appel à l’ouverture, des oreilles, des yeux, des portes et des bras. En somme, une invitation à la différence qui devrait, une nouvelle fois, ravir les communautés qui au cours des dernières décennies ont trouvé dans l’ESC un espace d’exhibition et d’expression, à l’échelle mondiale, et à leur mesure.

Occasion rêvée pour les artistes qui, plutôt que de porter un message autre (bien que tout message politique soit interdit au concours, toute thématique engagée obtient souvent les faveurs du public et du jury) seraient bien tentés de parler d’eux-mêmes. Oui, les artistes aussi ont vécu leur diaspora cette année à travers la crise du Covid. Pire, parmi eux, les chanteurs ont fait particulièrement les frais des restrictions anti-gouttelettes.

Voilà de quoi donner des ailes à la délégation française qui, portée par la jeune Barbara Pravi, entend bien, dans son hymne piafesque, embrasser le corporatisme du « Turquoise Carpet », et dire bravo et merci à tous les artistes qui manquent à nos quotidiens et ne demandent qu’une chose : se mettre à nu.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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