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Les violences et discriminations envers les personnes LGBTQ+ se sont accélérées en France et dans le monde entier avec la crise sanitaire actuelle. Selon Amnesty International France, certaines personnes homosexuelles confinées, sont victimes d’homophobie au sein de leurs familles, allant parfois jusqu’à être mises à la porte de chez elles.
En Guadeloupe, fin 2019, lors d’une interview diffusée sur outre-mer la première, trois jeunes Guadeloupéens installés à Paris et s’identifiant comme gays, décrivent ce genre de harcèlements et de discriminations qu’ils ont subis dans leur département d’origine.
Une dizaine d’années plus tôt, dans le cadre de mes recherches anthropologiques sur les milieux gais antillais, j’avais documenté ces violences bien réelles. Néanmoins, dans le reportage d’outre-mer la première cité plus haut, l’homophobie est présentée comme une tare antillaise. Considérer ainsi les violences contre les homosexuel·le·s comme un phénomène situé à la marge de l’Occident relève d’une forme de racisme. Comment critiquer ce racisme tout en prenant en compte la situation compliquée des Antillais·es qui s’identifient comme lesbiennes, gais, bisexuel·le·s ou transgenre (LGBTQ+) ?
L’homosexualité : une invention européenne ?
Historiens et anthropologues montrent que les humains ont toujours eu des relations homosexuelles. Les manières dont nous interprétons ces relations varient d’une époque et d’une culture à l’autre. Notre conception actuelle de l’homosexualité (attirance pour une personne du même sexe) et les modes de vie gais et lesbiens sont apparus dans les villes occidentales dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle
Pour échapper à la répression, homosexuel·le·s et transgenres créent des réseaux et fondent des mouvements militants. Ainsi définie, l’homosexualité se normalise graduellement au XXe siècle, surtout à partir des années 1970, en Occident et se diffuse au-delà. Cette évolution profite davantage aux gais blancs urbains issus des classes supérieures qu’aux lesbiennes, aux transgenres, aux classes populaires et aux minorités ethno-raciales. Aux marges de l’Occident, des références occidentales sont utilisées pour penser la situation des minorités sexuelles, sans prendre en compte les manières locales de penser les rapports homosexuels.
Domination du modèle LGBTQ+ occidental
En dépeignant les Antilles comme foncièrement homophobes, la presse et certains mouvements militants LGBTQ+ consolident des préjugés qui opposent d’anciennes colonies, moralement et culturellement arriérées, à leur métropole qui incarnerait un modèle de tolérance. Aux Antilles, il est aussi possible de vivre une sociabilité et des relations homosexuelles épanouies. De plus, l’homophobie, légitimée par le machisme et la religion, est loin d’être propre aux Antillais. Compte tenu de la violence verbale et physique qu’elles et ils subissent, des Antillais·es s’identifiant comme LGBTQ+ intègrent cette vision binaire et condamnent eux-mêmes sévèrement leurs sociétés d’origine.
Ils et elles intègrent à leur manière les codes de subcultures militantes LGBTQ+ dominantes pour se construire individuellement, socialiser ou devenir activistes. La France hexagonale et surtout Paris apparaissent comme des havres de tolérance. Il existe toutefois des conceptions créoles de l’homosexualité et de la transgression du genre. Depuis la fin du XIXe siècle, des « hommes habillés en dames » sont nommés « Ma Commère » (makonmè en créole).
Les expressions « fè makonmè » et « fè zanmi » désignent encore respectivement les relations homosexuelles masculines et féminines. Cela ne va néanmoins pas de pair avec une tolérance généralisée.
Répression et homophobie
Aux Antilles, si les opinions varient d’un milieu et d’un individu à l’autre, il est indéniable que les normes de parenté, les valeurs morales et dogmes religieux dominants vont dans le sens d’une condamnation de l’homosexualité.
En même temps qu’elle reconnaît et nomme les pratiques homosexuelles et le transvestisme, la langue créole les stigmatise : employé seul, « makonmè » est une insulte violente équivalente à « pédé ».
Ces catégories locales peuvent donc difficilement être saisies telles quelles comme outil d’émancipation. Les Antillais·es ne sont, en plus, généralement pas conscient·e·s de la coexistence d’un système de références créole et d’un autre européen, dominant, d’origine plus récente.
Les discours homophobes antillais opposent « un mode de vie antillais », garant d’un ordre social et moral, à une modernité décadente imposée par la France hexagonale. La condamnation de l’homosexualité repose donc en partie sur la croyance en une incompatibilité culturelle (ou sur des discours affirmant une telle croyance), ce qui accentue la marginalisation des minorités sexuelles antillaises.
Ainsi visées, ces dernières condamnent en réaction ce qu’elles perçoivent comme une homophobie anachronique, propre à leur culture. Des logiques homophobes présentes dans bien d’autres contextes socioculturels s’articulent à ces rapports sociaux complexes qui semblent les exacerber.
Vers une définition antillaise de l’homosexualité ?
Malgré la domination de représentations occidentales, les conceptions antillaises des rapports homosexuels et des personnes transgenres n’ont pas été éradiquées. Conceptions créoles et populaires, d’une part, et occidentales et dominantes, de l’autre, se sont mêlées.
La définition de l’homosexualité doit donc être élargie. L’enjeu est d’enrichir le langage et les références et de les rendre accessibles aux minorités sexuelles des Antilles. Elles pourront alors inventer autant de formes d’émancipation qu’elles jugeront nécessaire de s’approprier et de combiner, sans avoir à choisir entre ancrage culturel et pratiques ou désir homosexuels. Cela vaut aussi pour d’autres sociétés postcoloniales et permet de dépasser une distinction Nord/Sud binaire et manichéenne.
En contextes occidentaux, le modèle LGBTQ+ s’est également imposé graduellement en assimilant des représentations beaucoup plus anciennes du genre et de la sexualité.
En dépit de nombreux faits divers soulignant la prégnance d’une certaine homophobie dans les sociétés antillaises comme récemment le meurtre d’un homosexuel en Guadeloupe certaines associations initialement basées à Paris cherchent à la combattre aux Antilles. Ainsi, Tjenbé Red (Fédération total respect) a récemment condamné les propos homophobes prononcés par le député Olivier Serva en 2012, lors du débat sur l’ouverture de mariage aux couples homosexuels. Celui-ci s’est depuis impliqué dans la lutte contre l’homophobie outre-mer. Autre signe de changement, une ligne d’écoute devrait bientôt être disponible pour les victimes de violence homophobe.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.