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La famille « naturelle » existe-t-elle ?

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Il existe aujourd’hui toutes sortes de familles. Certaines sont volontiers désignées comme biologiquement « naturelles », celles composées d’un couple (père et mère) vivant sous le même toit, avec un ou plusieurs enfants leur étant génétiquement liés. Dans d’autres familles, le lien biologique est moins fort, ou absent. Il s’agit des familles adoptives, recomposées après un divorce, monoparentales ou homosexuelles.

Mais au fond, cette famille dite naturelle existe-t-elle vraiment ? Et surtout, que signifie cette expression ? C’est l’une des questions que nous avons soulevées lors de la journée éthique sur le thème familles et parentalités, organisée par MGEN le 24 janvier à Paris.

Car la prochaine révision des lois de bioéthique devrait encore modifier la donne. Le législateur devra en effet trancher sur l’élargissement, ou non, des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de même sexe et aux femmes célibataires. Une décision qui aura, dans les deux cas, des répercussions sur la notion de famille.

Les citoyens sont d’ailleurs invités à poster leurs propositions sur le thème « procréation et société » via le site des États généraux de la bioéthique, dont la consultation en ligne est ouverte jusqu’au 1er mai.

Des techniques d’AMP plus ou moins artificielles

Avec le développement des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) dans les années 1970, un élément artificiel s’est glissé dans un acte de procréation jusqu’ici naturel. Cet élément d’artificialité consiste en différentes interventions techniques qui vont du moins artificiel au plus artificiel.

L’éventail de l’aide médicale à la procréation se déploie ainsi de l’insémination pratiquée dans le cabinet du médecin à la fécondation in vitro (FIV), réalisée en laboratoire. Pour la FIV, deux techniques sont possibles : soit les ovules et les spermatozoïdes sont simplement mis en contact dans une boîte de Petri (un contenant cylindrique transparent), soit un spermatozoïde est choisi et introduit dans l’ovule à l’aide d’une pipette. Cette étape est suivie de l’implantation dans l’utérus de la femme d’un ou deux des embryons conçus, le surplus étant éventuellement congelé. Il est possible de concevoir ces mêmes embryons avec les gamètes (ovocyte ou sperme) d’un donneur, qui doit rester anonyme par la loi, ou bien encore d’accueillir dans l’utérus de la femme des embryons donnés par un autre couple.

Bien d’autres possibilités sont techniquement envisageables, même si elles sont interdites aujourd’hui en France. Par exemple, la fécondation in vitro ou le transfert d’embryon post mortem, c’est-à-dire après le décès du père. Ou encore la gestation pour autrui, c’est-à-dire l’utilisation de l’utérus d’une femme porteuse, éventuellement associée à un don d’ovocytes par une autre femme.

« Ce qui arrive en dehors de l’action de l’homme »

Tous ces modes de conceptions sont artificiels, si l’on retient la définition du naturel donnée par le philosophe britannique John Stuart Mill en 1874, dans son texte sur la nature : est naturel « ce qui arrive en dehors de l’action, ou en dehors de l’action volontaire et intentionnelle, de l’homme ». En ce sens, d’ailleurs, dans la mesure où elles s’opposent aux pathologies, hélas, naturelles, les interventions médicales sont toutes artificielles.

Mais dans l’esprit de la première loi française de bioéthique, votée en 1994, l’élément artificiel lié aux techniques doit être compensé, voire même neutralisé, par le caractère naturel du noyau familial que cette conception viendrait compléter. L’accès à ces techniques est ainsi réservé à un couple formé d’un homme et d’une femme, vivants et en âge de procréer, comme indiqué dans le Code de la santé publique. Comme l’affirme le Conseil d’état en 2009 dans son rapport préparatoire à la deuxième révision des lois de la bioéthique survenue en 2011 :

« Ainsi conçue, l’assistance médicale à la procréation n’a pas eu pour objet de créer un modèle alternatif à la procréation : la fonction “naturelle” de la procréation est le modèle sur lequel l’assistance médicale à la procréation a été calquée, autant que faire se peut. »

D’après cette approche, l’acte médical ne fait que remédier à une infertilité pathologique. La formulation de la loi a été modifiée en 2011 pour ne laisser aucun doute sur ce point et insister sur « le caractère pathologique de l’infertilité » qui doit être « médicalement diagnostiqué ». Il s’agit de reconstituer non la nature en tant que telle – on sait qu’elle produit, outre la stérilité, les pathologies les plus atroces ! –, mais la « bonne nature », ce que la nature est supposée faire de mieux.

Le concept normatif de famille naturelle : un enfant issu d’une relation d’amour entre un homme et une femme

Le modèle actuel de l’AMP s’appuie donc sur une définition implicite de « nature » comme concept normatif : un enfant issu spontanément d’une relation d’amour entre un homme et une femme. Selon cette interprétation du mot « naturel », même l’absence de lien génétique entre un des parents d’intention et l’enfant (en cas de fécondation avec gamètes de donneurs), ne rend pas la famille construite par le biais de l’AMP moins « naturelle », à la condition que l’intervention du donneur puisse être oubliée.

Deux artifices permettent d’y parvenir. Le premier est de nature légale, c’est le principe de l’anonymat des donneurs de gamètes qui vise à renforcer le noyau familial construit avec l’aide de la médecine. Le don de sperme est ainsi conçu sur le modèle du don de sang, en faisant abstraction du contenu du matériel génétique. Les parents d’intentions et les professionnels privilégient l’anonymat, du moins en France, au nom de la préservation de la famille naturelle, dans le sens que nous avons dit.

Mère et fille, à Montréal au Canada.
London Scout/Unsplash

Un second montage tend à renforcer le caractère naturel de cette conception assistée par des moyens artificiels. Les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), institutions publiques chargées de gérer les dons de gamètes, pratiquent, conformément à leur code de bonnes pratiques, des « appariements » sur la base de l’apparence physique des parents d’intention et du donneur, ainsi que de leurs groupes sanguins. Là où la réglementation ancienne estimait cet appariement « souhaitable », depuis 2017 il doit seulement être « proposé, dans la mesure du possible et si le couple le souhaite ». Ce procédé facilite la ressemblance entre l’enfant et ses parents d’intention et donc, le secret des parents sur le mode de conception. Secret qui à son tour permet de remplacer la naturalité biologique et génétique défaillante par une naturalité acculturée et normative.

L’AMP, pensée sur le modèle de l’adoption

Pour que ces nouvelles techniques soient mieux apprivoisées, l’AMP a été au début pensée sur le modèle de l’adoption. Garder le secret sur l’adoption était encore répandu dans les années 1980, quand les premières AMP ont eu lieu ; rappelons aussi que l’acte de naissance originaire est considéré comme nul en cas d’adoption plénière. L’idée d’un effacement des origines de l’enfant a pu facilement prospérer d’un champ à l’autre.

De plus, dès la première loi de bioéthique, en 1994, une disposition a été introduite pour permettre aux équipes de refuser la mise en œuvre de l’AMP « dans l’intérêt de l’enfant à naître ». Cette disposition a été introduite dans le but de se rapprocher de la procédure de l’adoption, tenue depuis longtemps pour un moyen de greffer dans un noyau « naturel » un élément étranger, par un acte de la volonté conjugué à un contrôle judiciaire. L’accès à l’adoption est cependant plus large que l’accès à l’AMP, puisque des femmes seules ou au-delà de l’âge de procréer peuvent y accéder.

Dans l’adoption, encore plus que dans l’AMP, ce n’est pas tant le statut des parents potentiels qui est le centre de l’attention, mais leur compétence à assurer le bien-être de l’enfant. Pour le garantir, des enquêtes sociales, souvent intrusives, conditionnent encore aujourd’hui l’agrément des parents adoptifs. Et le juge ne peut prononcer l’adoption que s’il estime qu’elle est « conforme à l’intérêt de l’enfant ».

L’adoption internationale a facilité la fin du secret

Or, l’adoption a évolué depuis l’analogie initiale entre l’AMP et l’adoption. L’adoption internationale, qui concerne des enfants d’origine ethnique différente de celle des adoptants, souvent plus visible, s’est développée. Elle a facilité la fin du secret que les parents d’intention pouvaient être tentés d’entretenir sur le fait même de l’adoption. Par ailleurs, depuis 2002, le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) a ouvert la possibilité aux enfants adoptés et pupilles de l’État de demander à avoir accès à leurs « parents de naissance », autrement dit à leurs origines génétiques. L’adoption apparaît donc comme un processus de « naturalisation » transparent d’un enfant ayant une histoire biologique et culturelle différente.

Ne serait-il pas souhaitable que l’AMP se rapproche maintenant du paradigme de l’adoption, comme mode de création d’un lien parental par « intégration » progressive de l’enfant dans un milieu qui lui est au départ étranger ? Une précaution s’impose néanmoins. Si le modèle de l’adoption peut nous inspirer comme processus de « naturalisation » des liens familiaux, la procédure juridique de l’adoption ne doit pas servir, en tant que telle, à établir la parenté dans le cas où l’enfant est né par AMP avec don de gamètes. En effet, reconnaître la filiation d’un enfant à la conception duquel une personne a contribué, fût-ce par son seul engagement et sans apport génétique, ne doit pas être confondu avec l’assimilation familiale, par voie d’adoption, d’un enfant abandonné après sa naissance et accueilli dans un nouveau foyer.

L’analogie entre l’AMP et l’adoption est aujourd’hui facilitée par deux changements majeurs dans la société, qui contribuent à la « relativisation » de la famille « naturelle », au sens normatif du terme, et favorisent le pluralisme des modèles familiaux. D’une part les familles recomposées, liées aux divorces désormais très courants, sont plus vastes que le noyau biologique, mais fonctionnent pourtant en tant que familles. D’autre part, les couples homosexuels, dont le droit à faire famille a été reconnu par la loi en 2013, ne peuvent pas concevoir un enfant en tant que couple par les voies biologiques normales – même si, bien sûr, un des membres de ce couple peut en être le géniteur.

Deux pères, une famille.
Ethan Hu /Unsplash

À partir de ces évolutions, il serait possible et souhaitable de revenir à l’analogie qui a été fondatrice entre AMP et adoption. Remettre le modèle de l’adoption au centre d’une nouvelle approche de l’AMP permettrait d’interpréter la famille « naturelle », non à partir de liens génétiques et biologiques, réels ou potentiels, mais à partir d’un processus de « naturalisation » des liens familiaux entre les parents, qu’ils soient biologiques ou d’intention, et leurs enfants.

Des familles « naturelles » aux familles adoptives, recomposées, monoparentales, homosexuelles

Ce processus est nécessaire non seulement dans les familles dans lesquelles le lien biologique est absent ou moins fort – adoptives, recomposées, monoparentales, homosexuelles – mais également dans les familles biologiquement « naturelles ». Chaque famille en effet se fonde sur des habitudes communes et un partage quotidien de lieux, de ressources et d’affects.

De ce point de vue, le lien génétique et biologique peut être dans certains cas un facteur facilitateur. Sans aller jusqu’à l’idée que des personnes qui partagent des liens génétiques auront plus d’affinités dans leurs goûts, aptitudes et comportement, la connaissance du lien génétique et biologique peut être important symboliquement pour les membres d’une famille. Il leur offre une sorte de « mise de départ » sur laquelle chaque membre peut, s’il le désire, s’appuyer pour construire ce contexte commun. Toutefois, ce lien génétique avec l’un ou les deux membres du couple ne permet pas de faire l’économie de ce processus de « naturalisation », d’apprivoisement et d’adoption réciproque.

Mais dans quel sens s’agit-il d’une « naturalisation » et pas simplement d’une « acculturation » ? Il nous semble que le terme de « nature » reste une référence importante pour réfléchir à la question de la procréation aujourd’hui. Mais on peut pourtant puiser dans d’autres significations de ce terme que celle de « qui n’est pas artificiel », ou « ce qui n’est pas fait par l’homme ».

La « nature » dans le sens de « normal », « coutumier »

Premièrement, comme la tradition pragmatiste l’a mis en évidence, le terme de « nature » possède également le sens de « normal », « coutumier ». On peut citer à ce propos une définition du naturel donnée dans un dictionnaire du XVIIIe siècle : « On demande ici dans quel sens on dit, parlant d’une sorte de vin, qu’il est naturel, tout vin de soi étant artificiel ; car sans l’industrie et le soin des hommes il n’y a point de vin […]. Quand donc on appelle du vin naturel, c’est un terme qui signifie que le vin est dans la constitution du vin ordinaire [tel] qu’on n’y ait rien fait que ce qu’on a coutume de faire à tous les vins qui sont en usage dans le pays et dans le temps où l’on se trouve » (Étienne Bonnot de Condillac, Dictionnaire des synonymes de la langue française, 1758-1767). Or, la notion même de famille « naturelle », au sens de « normale », a évolué pour se détacher du modèle classique du couple hétérosexuel ayant un enfant génétiquement apparenté.

Deuxièmement, le terme naturel peut également signifier ce qui est spontané et non affecté, comme dans l’expression « une grâce naturelle ». Un comportement est naturel dans ce sens-là quand « on n’essaie pas de le contrôler ou de le dissimuler », comme l’écrit le philosophe John Stuart Mill, cité plus haut. La caractérisation des liens familiaux comme « naturels », malgré l’invraisemblance biologique (couple de même sexe, procréation post mortem) ou l’absence de liens génétiques (procréation avec donneur), permet de mettre l’accent sur un élément fondamental de ce qui constitue famille : son « intimité ».

Il s’agit du fait que, quand on est membre d’une famille, certains comportements, attentes et sentiments vont de soi, sans nécessiter un effort particulier. Dans la mesure où toute intimité familiale est en partie construite, elle est fragile. Même les liens génétiques ou biologiques ne suffisent pas à éviter les déchirements et les ruptures. La naturalisation, processus nécessaire à la construction de l’intimité familiale, peut être ardue, comme les parents adoptifs le savent bien. Une famille peut être dite naturelle dans ce sens par degrés. Cette forme de naturalité renvoie également à un concept normatif – pas au sens d’une norme sociale mais d’une forme « d’être bien », subjective, indicible et quotidienne.

La liberté d’avoir accès à ses origines génétiques

Cette analogie retrouvée entre les familles non naturelles – entendu ici dans le sens biologique ou génétique du terme – que l’AMP permet de créer, et les familles adoptives aurait quelques conséquences importantes et positives, sous réserve d’éviter tout amalgame quand il est question des manières d’établir les liens de filiation.

Premièrement, il faudrait donner la liberté aux enfants conçus dans le cadre d’une AMP avec les gamètes d’un donneur, d’avoir accès à leurs origines génétiques, tout comme c’est le cas pour les enfants adoptés. Il s’agit moins de conforter l’existence d’un droit « créance » des enfants à l’égard de leurs géniteurs, que de leur donner la liberté de construire leur identité à partir des morceaux de réalité et de représentations auxquels ils souhaitent se rattacher, au fur et à mesure qu’ils construisent leur identité personnelle. On oppose souvent à cet argument que les enfants adoptés souhaitent avoir accès à leur « histoire » et non aux données génétiques. Or, selon les témoignages rassemblés par l’association Procréation médicalement anonyme, qui milite pour l’accès aux origines, il semblerait que tout comme les enfants adoptifs, les enfants issus de donneurs sont intéressés, non par les données génétiques, mais par les raisons du don ainsi que l’apparence et la personnalité du donneur. Les travaux de la sociologue Cécile Ensellem vont dans ce sens, comme indiqué dans son article publié en 2004 sous le titre « Les lois concernant l’accès aux origines des personnes nées sous x et par assistance médicale : des révélateurs d’une définition de l’individu ? ».

La deuxième conséquence d’un prolongement de l’analogie entre l’AMP et l’adoption est l’accent mis sur l’intérêt de l’enfant. Cette notion est entendue de manière souple, évolutive, et ancrée dans des situations singulières, plus que sur des types abstraits de situations, de couples ou de familles. En effet, l’intérêt de l’enfant dépend moins du « type » de famille concernée, de la sexualité des adoptants ou de leur conjugalité, que de l’« environnement parental soutenant », pour reprendre les termes de la loi britannique, dans lequel un enfant vient à naître et à grandir.

Certes, ces critères ne sont pas faciles à définir, mais une réflexion de la société pourrait être engagée à ce sujet. Si, comme l’affirmait la sociologue Irène Théry lors de la journée éthique Familles et parentalités organisée par MGEN, c’est la présence de l’enfant et non le mariage qui fonde la famille contemporaine, alors il faudra le remettre au centre des préoccupations de manière concrète, sans se camoufler derrière des standards généraux ou des préjugés. Ce n’est pas un hasard s’il y a aujourd’hui des chercheurs qui vont jusqu’à soutenir que tout parent, y compris ceux qui font des enfants sous la couette, devraient recevoir un brevet d’aptitude à la parenté… avant de pouvoir procréer !

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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