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Marcher dans la rue : double peine pour les lesbiennes

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Si l’actualité récente a tristement mis en lumière l’homophobie et la transphobie qui se déploient dans l’espace public, rares ont été les témoignages et les analyses relatives aux places plus spécifiques des lesbiennes. Assez étrangement, alors que les questions de harcèlement et de sexisme de rue ont été fortement médiatisées, la lesbophobie est restée peu documentée malgré une « augmentation des cas de lesbophobie » comme le rapporte SOS-Homophobie cité par Le Monde.

À travers une récente enquête, réalisée avec ma collègue sociologue Johanna Dagorn, nous avons tenté de quantifier l’expérience lesbienne dans l’espace public, entre « sexisme » et « homophobie ».

Un climat urbain spécifique

L’enquête « Ville et LGBTI-phobie » à laquelle nous avons participé, a été commanditée par la mairie de Bordeaux en 2019 et réalisée par le biais d’un questionnaire auquel ont répondu 1042 personnes, pour partie représentatives de la sociologie des habitant·e·s de Bordeaux, les personnes de plus de 65 ans et les ouvrier·e·s étant sous représenté·e·s. L’ensemble des répondantes (lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et transgenres) résidaient dans la ville de Bordeaux et ont témoigné de faits qui se sont déroulés dans les espaces et transports publics de la ville au cours des 12 derniers mois.

Cette enquête, inédite à l’échelle d’un territoire municipal en France, tentait de quantifier et de qualifier les expériences discriminatoires vécues par les LGBTI en ville (espaces publics, services publics…). Nous avons ainsi essayé d’analyser et dégager des tendances issues des réponses reçues. Que vivent les personnes qui ont subi des agressions, peu importe le type d’agression subie ? Sont-elles plutôt sereines ou inquiètes dans leurs déplacements ?

Tableau 1.
Ville et LGBTI-phobie 2019, Author provided

Pour lire ce tableau.

(1) 47,64 % des personnes victimes de lesbophobie se disent sereines durant leurs déplacements en ville

Les résultats sont assez nets : être victimes de gayphobie ou de lesphobobie n’a pas le même impact sur la notation de l’ambiance générale, c’est-à-dire de la perception de la sécurité, du risque discriminatoire, et des possibilités de déplacements dans la ville.

Si l’on sélectionne les réponses en fonction du genre des répondant·e·s, on observe que, très clairement, le fait d’être une femme fait augmenter les expériences inquiétantes et stressantes. La géographie du genre a déjà montré combien la ville était inégalitaire. Ces chiffres le confirment.

Une ambiance urbaine

Nous avons aussi demandé aux répondant·e·s de « noter » l’ambiance urbaine, de 1 à 10. Voici les moyennes, réparties par sexe.

Tableau 2.
Ville et LGBTI-phobie 2019, Author provided

Si l’expérience urbaine des femmes est, nous le savons, bien plus dégradée que celle des hommes, un focus sur les victimes de discriminations nous indique un affaiblissement supplémentaire du climat urbain, du fait de l’homophobie.

Cette « double peine » vécue par les lesbiennes est donc augmentée lorsque l’identité de genre de la personne ne correspond pas aux attentes sociales du genre féminin. Pour le dire plus nettement, les lesbiennes jugées « masculines » sont la cible d’un plus grand nombre de quolibets selon les témoignages recensés. Stipulons enfin que dans nos enquêtes « femmes et déplacements », portant sur l’usage de la ville par les femmes sans distinction de sexualité, la moyenne des notes, pour Bordeaux, était de 6/10, ce qui permet de comparer les effets « sexe » et « sexualité » dans ces notations (10 étant la note maximale).

Tableau 3.
Ville et LGBTI-phobie, Author provided

Prendre en compte la continuité des violences

Nous avons également demandé aux répondant·e·s de décrire les agressions, les interpellations, les violences. Une agression sexuelle ne pouvant se comparer à un regard insistant, il convient d’être attentif à l’éventail, au continuum, des violences.

Tableau 4.
Ville et LGBTI-phobie, Author provided

Quand on examine avec plus de précision les « faits » relevés par les victimes nous observons trois choses : d’une part, les personnes trans, queer ou non-binaires sont celles qui déclarent le plus de faits et de faits cumulés. Peu importe les items, ce sont celles qui subissent le plus de violences cumulées.

D’autre part, les « gays » et les « lesbiennes », ou les personnes s’identifiant comme telles ne vivent pas totalement la même chose. Être homosexuel·le n’est pas « en soi » suffisant pour comprendre l’expérience urbaine des lesbiennes.

En effet, si les gays sont plus soumis aux agressions et aux menaces, les lesbiennes sont bien plus victimes d’exhibition, de viols ou de tentatives de viol. La typologie des violences entre gays et lesbiennes ne se superpose donc pas tout à fait.

Les expériences urbaines des lesbiennes sont d’ailleurs très proches de celles de l’ensemble des femmes enquêtées dans leur peur du viol notamment. Elles expérimentent en plus des injures « sexistes » et d’autres « homophobes » qui peuvent provenir d’hommes directement lesbophobes, comme en témoignent des couples agressés du fait de se tenir la main. Mais ces injures peuvent aussi provenir d’hommes qui se voient refuser leurs avances harcelantes : la lesbienne devient alors la figure de la femme qui se refuse aux hommes, dans un imaginaire profondément hétérosexiste.

Par ailleurs, elles sont légèrement plus nombreuses que les femmes à connaître des « violences physiques ». Ici, l’effet « sexualité » se ressent sur le motif des violences : le passage à l’acte qu’autorise l’homophobie semble le principal facteur explicatif.

Image issue du Tumblr « Lesbeton » consacré aux témoignages de victimes de lesbophobie dans la rue, dans différentes villes en France.
Lesbeton

Mesurer la fréquence des discriminations

Enfin, nous avons pu mesurer la fréquence des discriminations, des agressions et des injures subies par les personnes qui en ont été victimes. Trois points nous semblent importants à souligner face à ces données :

Majoritairement (50 % des répondant·e·s), ces agressions arrivent une ou deux fois dans l’année pour les victimes de gay et lesbophobies, mais un nombre non négligeable de lesbiennes subissent des agressions et interpellations lesbophobes parfois entre trois et cinq fois au cours des 12 derniers mois (33 %).

Du côté de la lesbophobie toujours, l’accumulation sexisme + homophobie fait nettement augmenter la fréquence des évènements. C’est encore une fois les personnes trans, queer, non-binaires ou intersexes qui témoignent de la fréquence la plus élevée : 17 % d’entre elles subissent ces agressions plus de 10 fois dans l’année !

Tableau 5.
Ville et LGBTI-phobie, Author provided

Des témoins agresseurs

Face aux violences, verbales ou physiques, la citoyenneté des témoins est-elle engagée de la même façon lorsque la victime est une lesbienne ou un gay ? Nous avons posé la question aux personnes victimes de LGBTIphobies.

Tableau 6.
Ville et LGBTI-phobie, Author provided

Comparativement à nos enquêtes sur les femmes et leurs déplacements en milieu urbain où 87 % des témoins ne faisaient rien face à des violences sexistes et 7 % y participaient (en moyenne sur les villes étudiées), nous avons ici beaucoup moins de témoins inactifs.

Mais ce n’est pas forcément pour « aider » la victime : au contraire ! Entre 11 % et 38 % des témoins, selon les victimes, ont participé à l’agression, c’est-à-dire sont passés du statut de témoin à celui d’auteur.

Quant aux témoins qui sont intervenus, ils sont plus nombreux à l’avoir fait lorsque les victimes étaient des femmes que des hommes ou que des personnes qui s’identifient comme « trans » ou « queer », etc.

Au total, il apparaît que, non seulement la question des violences sexistes est au cœur d’expériences sociales plus larges que celle des « femmes » supposément toutes hétérosexuelles, mais plus encore que les discriminations cumulées que vivent les lesbiennes méritent une attention toute particulière de la part des politiques publiques.



Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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