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Une relation avec l’Europe à l’épreuve de l’homophobie d’État

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Le très droitier Viktor Orban, premier ministre de la Hongrie depuis 2010 (après avoir déjà occupé ce poste de 1998 à 2002), se retrouve à nouveau sous le feu des critiques de toute l’Europe à la suite de l’adoption d’une loi initialement censée durcir la législation en vigueur en matière de pédocriminalité, mais qui est devenue un étrange fourre-tout législatif s’attaquant à la communauté LGBT.

Régulièrement montré du doigt pour sa politique conservatrice, le gouvernement de Viktor Orban déclenche les passions à l’échelle du continent – avec, en filigrane, l’Euro 2021 et notamment un match Allemagne-Hongrie, à Munich, qui s’est retrouvé au cœur de nombreuses polémiques.

Des interprétations radicalement opposées de la nouvelle loi

La loi qui soulève de nombreuses inquiétudes n’est donc que le dernier épisode en date des critiques européennes contre le gouvernement d’Orban. En 2018 déjà, le Parlement européen avait voté une résolution estimant que le premier ministre hongrois bafouait les valeurs de « respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit » édictées dans l’article 2 du traité européen. Orban se voyait notamment accusé de ne pas respecter les libertés au sein des universités et de prendre des mesures hostiles aux minorités, aux migrants et à la liberté de la presse. Il était également épinglé en matière de corruption et d’indépendance de la justice.

La loi a toutefois été votée par la majorité écrasante du parti d’Orban et signée le 23 juin par le président János Áder, lequel affirme que ce texte « ne limite en rien les droits constitutionnels des citoyens majeurs, tout en accomplissant les obligations constitutionnelles liées à la protection des mineurs ».

La loi interdit la promotion et l’affichage auprès des moins de 18 ans de l’homosexualité et du changement de sexe. Seuls les organismes publics seront désormais autorisés à s’exprimer au sujet de l’éducation sexuelle. Dans la foulée des mesures, de nombreuses œuvres littéraires et séries télévisées pourraient être interdites.

Face à la vague de protestations à travers l’UE, laquelle condamne tout amalgame entre homosexualité et pédophilie, Orban défend sa loi qui, à ses yeux, « punit radicalement les pédophiles et protège radicalement nos enfants ».

Tout le monde n’a pas la même lecture.

« J’ai honte. De telles lois n’ont pas été adoptées en Europe depuis très longtemps », affirme le poète, linguiste et traducteur Ádám Nádasdy, homosexuel qui ne cache pas son orientation sexuelle. Dans un entretien à la chaîne YouTube Partizán, il raconte comment il a fait son coming out à ses enfants lorsqu’ils avaient 15 et 18 ans : « Nous ne sommes pas seulement des amis, nous nous aimons, comme les hommes et les femmes s’aiment, et c’est ce qu’on appelle être gay ». Quant à la loi, il la juge scandaleuse du fait des passages relatifs aux homosexuels : « La pédophilie elle-même doit absolument être punie, c’est un crime terrible, mais elle ne doit pas être confondue avec le fait d’être gay ! »

Un collectif de plus de 200 auteurs et illustrateurs pour enfants et jeunes a également protesté dans une lettre ouverte, expliquant notamment :

« Nous avons toujours traité les enfants et les lecteurs avec le plus grand respect. […] Le rôle de la littérature et des arts n’est pas seulement de divertir, mais aussi de fournir un espace pour intérioriser, vivre et expérimenter des situations de vie qui ne sont pas notre réalité personnelle, permettant ainsi d’acquérir des perspectives différentes, un esprit critique, de la compassion, de l’acceptation et la possibilité de développer son propre point de vue. »

De son côté, l’Association des éditeurs et des distributeurs de livres hongrois affirme que la loi « ne fait que restreindre la liberté d’expression artistique et la liberté de publication et de distribution des livres au lieu d’assurer une plus grande protection des enfants, interdisant les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale et hongroise, y compris de nombreux auteurs qui font partie du programme des écoles secondaires, tels que Sappho, Ovide, Verlaine, Rimbaud, Thomas Mann, Proust, Shakespeare, mais aussi les poèmes de Mihály Babits, Sándor Weöres, György Faludy, qui contiennent des références érotiques ».

S’exprimant dans l’émission Bonjour la Hongrie (Jó reggelt, Magyarország) sur la station de radio Kossuth, la ministre de la Justice Judit Varga a affirmé que « la Hongrie est un pays tolérant, et dans l’esprit de la liberté chrétienne, chaque adulte vit comme il le souhaite ». Tamás Dombos, porte-parole de la Background Society (Háttér Társaság), l’une des princpales organisations de défense des droits des homosexuels du pays, estime que les propos de la ministre ne reposent sur aucune enquête concrète. Pour que la communauté LGBT soit à l’aise, l’égalité des droits est fondamentale, et aucune loi ne doit la stigmatiser, assure-t-il. Et d’ajouter :

« Nous en sommes très loin pour le moment, et nous nous en éloignons de plus en plus. Nous sommes désespérés, en colère et vivons dans la peur. »

En 2017, la Background Society a conduit une enquête nationale portant sur l’environnement scolaire dont il est ressorti que plus de la moitié des jeunes homosexuels se sentent en danger à l’école en raison de leur orientation sexuelle et que près de deux tiers des étudiants concernés ont été harcelés. « En cinquième année (CM2), mes camarades de classe ont découvert que j’étais gay. Malheureusement, je n’ai pas eu une classe très accueillante. Ils m’ont battu, cassé des règles et jeté des chaussures sur moi. En sixième, j’ai changé d’école et je me suis fait tabasser en rentrant chez moi. […] J’ai fait plusieurs tentatives de suicide », témoignait par exemple l’une des personnes interrogées.

Boglárka Nyúl, chercheure en psychologie sociale à l’Université ELTE, estime pour sa part que cette loi est soit bête, soit maléfique, et ajoute que la communauté gay, particulièrement confrontée à la dépression et au suicide, ne doit pas devenir un groupe incompris et tabou provoquant de la peur et de l’anxiété.

Drapeaux arc-en-ciel sur l’hôtel de ville de Budapest… et à l’Euro

Comme des milliers de villes en Europe et dans le monde, le drapeau arc-en-ciel a été hissé sur l’hôtel de ville de Budapest en l’honneur du mois des fiertés, a annoncé le maire écologiste de Budapest, Gergely Karácsony, sur sa page Facebook.

Pour Karácsony, qui souhaite devenir premier ministre l’année prochaine, à la tête d’une opposition hétéroclite que divise la loi controversée (celle-ci a été votée avec l’aide notable du parti d’extrême droite Jobbik, pourtant hostile à Orban), il s’agit d’une « prise de position contre toutes les formes de haine et de division, pour une société cohésive, pour la dignité humaine, pour la liberté et l’amour, pour l’amour libre. […] Budapest est une ville forte, une communauté forte, une ville de droits et non de privilèges, où chacun est libre d’exprimer ses opinions, sa vision du monde, son identité. »

Le match Allemagne-Hongrie du 23 juin est devenu le champ de résonance de fortes tensions politiques : alors que l’Allemagne avait en vain demandé à l’UEFA d’illuminer l’Allianz Arena de Munich aux couleurs LGBT, Viktor Orban, principal supporter des Magyars, sous pression, a annulé son déplacement, préférant dîner à Bruxelles avec Giorgia Meloni, figure montante de l’extrême droite italienne.

Juste avant le match Allemagne-Hongrie à Munich le 23 juin 2021, un militant des droits des personnes LGBT a réussi à s’introduire sur le terrain pour brandir un drapeau arc-en-ciel devant les footballeurs hongrois.
Matthias Hangst/AFP

Au terme d’un match fou, après une grosse frayeur, sous des trombes d’eau, l’Allemagne arrache sa qualification et la Hongrie est éliminée malgré une belle prestation. Dans ce contexte, le Magyar Nemzet (Nation Hongroise), quotidien conservateur de référence, aujourd’hui relais officieux du parti Fidesz au pouvoir, assène :

« Les Allemands ne sont plus sûrs de leurs propres valeurs et de leur identité nationale […] à l’heure où les campagnes politiques sont plus importantes que tout, leurs sportifs doivent se demander quel groupe minoritaire, migrants ou homosexuels ils doivent soutenir. […] Aussi il n’est pas étonnant qu’ils soient incapables de défendre leurs couleurs nationales sur le terrain comme ils le faisaient auparavant. »

Et l’article d’ajouter que la persévérance et la volonté de gagner de l’équipe hongroise sont dues au climat politique du pays, à même de renforcer la cohésion sociale, la confiance en soi des gens et l’estime de soi nationale, et que toute alternative au pouvoir actuel, lors des prochaines élections en 2022, conduirait à la destruction de l’existence nationale.

L’éternelle mise en scène de Viktor Orban

Aux yeux de Péter Balázs, ancien ministre des Affaires étrangères et commissaire européen, Viktor Orban, qui n’a jamais été aussi violemment critiqué par l’Europe (dans une lettre commune, 17 dirigeants de l’UE ayant appelé au « respect des valeurs fondamentales », certains allant même jusqu’à envisager une exclusion pure et simple de la Hongrie de l’UE) a déjà un peu reculé en renonçant à assister au match de Munich.

Opposé depuis longtemps à l’UE (trop fédérale et insuffisamment démocratique à son goût), même s’il n’a jamais dit clairement souhaiter que son pays la quitte, Orban ne peut toutefois pas se permettre d’oublier que la majorité de l’opinion publique hongroise est pro-européenne, comme le montrent les dernières enquêtes d’opinion de l’Institut Median (Budapest).

Mais il ne peut exister sans conflit. Il aime être attaqué, se défendre et attaquer en retour. C’est cette dramaturgie qui lui permet d’être à la fois victime, persécuteur et sauveur. Selon le portrait que dressait de sa personne l’éminent psychologue Péter Popper, il souhaite « rester en selle en toute circonstance, bien saisir l’épée et avoir toujours l’air puissant »…



Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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